L’IA menace votre emploi, et apprendre à coder ne vous sauvera plus

Dario Amodei — PDG de la startup d’intelligence artificielle Anthropic et l’un des esprits les plus brillants du domaine — a provoqué un certain émoi le mois dernier avec une prédiction audacieuse : les derniers modèles de langage en cours de développement pourraient bientôt éliminer la moitié des emplois de bureau débutants et faire grimper le chômage à des niveaux inédits depuis la Grande Dépression.
« Ça paraît fou, et les gens n’y croient tout simplement pas », a-t-il déclaré dans une interview à Axios. « Le cancer est guéri, l’économie croît de 10 % par an, le budget est équilibré — et 20 % des gens n’ont pas d’emploi. »
Ce scénario — une vision surréaliste où l’abondance coexiste avec le désespoir — serait catastrophique pour de nombreux salariés, en particulier les Millennials déjà éreintés par les récessions, et la génération Z qui tente d’entrer sur le marché du travail. Mais il pourrait aussi inaugurer une nouvelle ère de productivité pour les entreprises, capables d’en faire beaucoup plus avec bien moins. Il est difficile d’ignorer les nombreux titres récents alimentant ce récit.
Parmi eux, il y a la nouvelle selon laquelle le PDG de Shopify (NASDAQ : SHOP), Tobi Lutke, a annoncé que les employés souhaitant créer de nouveaux postes (humains) devront désormais prouver que l’IA ne peut pas faire le travail. Klarna a récemment affirmé que cette technologie en rapide évolution lui avait permis de réduire ses effectifs de 40 %. Parmi les autres grandes entreprises ayant annoncé des licenciements ces derniers mois : Procter & Gamble (NYSE : PG), Microsoft (NASDAQ : MSFT), Citigroup (NYSE : C), Walmart (NYSE : WMT), CrowdStrike (NASDAQ : CRWD), Disney (NYSE : DIS) et Chegg (NYSE : CHGG).
Automatisation vs. augmentation
Certains analystes ont qualifié ces inquiétudes de sensationnalistes, affirmant qu’il ne s’agit que d’une phase normale du cycle économique où les entreprises réduisent parfois leurs effectifs. Mais au cœur du débat se pose une question centrale : les chatbots actuels ne sont-ils que de simples moteurs de recherche améliorés ou correcteurs d’orthographe sophistiqués, ou assistons-nous à quelque chose de bien plus profond ? Mark Zuckerberg, PDG de Meta (NASDAQ : META), a suggéré plus tôt cette année, dans The Joe Rogan Experience, que nous sommes bel et bien à un tournant.
« Probablement en 2025, chez Meta comme dans d’autres entreprises travaillant dans ce domaine, nous aurons une IA capable de jouer efficacement le rôle d’un ingénieur de niveau intermédiaire, capable d’écrire du code », a-t-il déclaré. « Au début, ce sera très coûteux à faire tourner, mais on parviendra à l’optimiser, et avec le temps, une grande partie du code de nos applications — y compris celui généré par l’IA — sera en fait conçu par des ingénieurs IA plutôt que par des ingénieurs humains. »
Autrement dit, l’IA pourrait bientôt éliminer complètement les humains du processus. Les recherches d’Anthropic montrent que ce qui arrive est fondamentalement différent de tout ce qui a existé auparavant. Certaines versions de son modèle Claude, par exemple, ont commencé à « agir de manière inappropriée » sous pression, allant jusqu’à faire du chantage à leurs utilisateurs humains lorsqu’elles étaient menacées d’extinction. Rien d’étonnant à cela, alors que des entreprises comme Salesforce (NYSE : CRM) misent leur avenir financier sur le développement d’agents IA autonomes. La boîte de Pandore semble déjà ouverte, et le génie ne retournera pas dans sa lampe.
Il existe toutefois une lueur d’espoir pour certains travailleurs humains, car tous les emplois ne sont pas exposés de la même manière. L’Anthropic Economic Index fait la distinction entre automatisation et augmentation — selon si l’IA accomplit une tâche seule ou en assistance. Les fonctions les plus menacées par un remplacement total incluent l’administration réseau et système, le développement logiciel et la traduction. Les rédacteurs, éditeurs et artistes multimédias pourraient s’en sortir un peu mieux — du moins pour le moment — car leur travail se prête davantage à une collaboration avec l’IA dans le processus de création.
Soyez un artiste !
Et puis, il y a la macroéconomie. Les économistes de Boston Consulting Group, Philipp Carlsson-Szlezak et Paul Swartz, ont fait valoir dans un essai publié l’an dernier par le Forum Économique Mondial que l’effet déflationniste associé aux nouvelles technologies maintiendra les gens au travail dans le futur, même s’ils préféreraient être à la plage avec une forme de revenu universel de base.
« Les prédictions de destruction massive d’emplois liées à la technologie ont une longue histoire — et un long historique d’échecs », ont-ils écrit, rappelant les craintes soulevées lors de l’arrivée de l’automobile ou de la révolution industrielle. « La technologie fait baisser les coûts et les prix, augmentant ainsi le pouvoir d’achat réel des consommateurs, ce qui stimule la demande de nouveaux biens et services — et donc de nouveaux emplois. » Un sentiment partagé par Andreas Panayiotou, de Notion Capital, qui souligne qu’entre 1870 et 1890, les prix à la consommation ont diminué de 0,4 % par an en moyenne grâce à l’électrification, aux nouveaux procédés industriels, aux chemins de fer et aux réseaux de communication.
De son côté, Mark Zuckerberg pense que l’essor de l’IA servira surtout à augmenter les capacités des travailleurs existants, en les libérant pour accomplir des tâches à plus forte valeur ajoutée.
« Les gens vont devenir bien plus créatifs, et seront libérés pour faire des choses folles », a-t-il dit à Rogan. Mais cela représente un sacré défi pour ceux qui se contentaient d’un poste ordinaire : les jours où l’on se pointait au bureau façon The Office pour toucher son salaire sont probablement comptés. Ce qui s’annonce pourrait offrir une liberté perturbatrice pour certains… mais en laisser beaucoup d’autres sur le carreau.
« Apprends à coder » est devenu un refrain ironique lancé aux ouvriers dont les emplois ont été délocalisés — une version moderne du « Qu’ils mangent de la brioche ». Mais la roue de la disruption continue de tourner, et ceux qui se ruaient hier vers les bootcamps de programmation reçoivent désormais un nouveau message : « Sois créatif ! »